26 février 2020 |
International,
Aérospatial
Projets européens avortés, achats de matériels américains, retards multiples : les armées peinent à s'équiper de systèmes aériens téléopérés. Par Guerric Poncet
Dès 1964, les armées françaises ont expérimenté de premiers modèles de drones. Mais plus d'un demi-siècle après, force est de constater que la France est à la traîne, et pas qu'un peu. Si on la compare avec des États de même rang militaire, comme le Royaume-Uni par exemple, le constat est sans appel : Paris aligne cinq drones Reaper (armés depuis fin 2019) et quelques dizaines de drones tactiques et légers, là où Londres dispose de dix drones Reaper (armés depuis 2007), d'une cinquantaine de drones tactiques et de plusieurs centaines de drones légers. Dans son rapport public 2020, la Cour des comptes pointe cette défaillance majeure, expliquant que « la France a tardé à tirer les conséquences de l'intérêt des drones dans les opérations militaires modernes ».
Pour les sages, « l'effet conjugué des mésententes entre industriels, du manque de vision prospective des armées et des changements de pied des pouvoirs publics ont eu pour conséquences, dommageables et coûteuses, de prolonger la durée de vie de matériels vieillissants ». Ils ont aussi « conduit à l'acquisition de matériels américains aux conditions d'utilisation contraignantes et restrictives ». Ainsi, les premiers drones Reaper acquis en 2013 par la France pour répondre à l'urgence opérationnelle dans la bande sahélo-saharienne ont été prélevés sur des lignes d'assemblage destinées aux forces américaines. Ils ont donc fait l'objet de restrictions d'utilisation drastiques qui ont beaucoup compliqué leur début de vie opérationnelle. Par exemple, leur déploiement hors d'Afrique subsaharienne étant verrouillé, « pour rapatrier un vecteur aérien de Niamey à Cognac (où se situe l'escadron de drones 1/33 Belfort, qui opère les Reaper), un accord américain préalable, attendu de longs mois, a été nécessaire », racontent les sages.
2 % du budget des programmes d'armement
« Les investissements liés aux programmes d'acquisition se sont accélérés ces dernières années, surtout depuis 2015, mais restent encore limités (...) en termes d'efficacité et de coûts », soulignent les sages, en référence notamment aux longues négociations entre les industriels européens et le ministère des Armées, qui juge les programmes excessivement coûteux et répète qu'il ne signera pas tant que les tarifs n'auront pas été revus nettement à la baisse. Mais l'appétit des industriels n'est pas le seul problème : « rapportés aux investissements annuels du ministère des Armées dans les programmes d'armement sur la période récente, les montants totaux dédiés aux drones n'ont jamais représenté plus de 2 % de l'effort global », explique aussi le rapport.
Pour ne pas être éjecté des grandes puissances aériennes mondiales, il va donc falloir changer de braquet sur les drones. « L'important investissement, de l'ordre de 800 millions d'euros, réalisé pour acheter des drones américains, n'est que la première étape d'efforts financiers conséquents à venir », prévient le texte, qui pointe en particulier le retard pris par la Marine nationale dans le domaine des drones aériens, en raison des arbitrages effectués par le ministère notamment. « Les besoins (de la marine, NDLR) sont portés par la surveillance maritime de la deuxième plus vaste zone économique exclusive (ZEE) au monde, après celle des États-Unis », rappelle la Cour, qui espère l'aboutissement rapide d'un « système de drones tactiques à décollage et atterrissage vertical ». Les marins devraient être équipés d'un drone par navire d'ici 2030, mais en l'absence d'un programme suffisamment avancé à dix ans de cette échéance, la promesse semble difficile à tenir... sauf à acheter, de nouveau, hors d'Europe.
« Des résistances d'ordre culturel » chez les aviateurs
Le rapport relève aussi les nombreux échecs de projets européens de drones MALE (moyenne altitude, longue endurance) comme EuroMALE, Advanced UAV/Talarion ou Telemos, et les « difficultés qui s'amoncellent » pour le nouveau programme MALE en cours de développement. Pour les quatre pays partenaires (Allemagne, Espagne, France et Italie), ce dernier projet « présente des enjeux stratégiques qui vont largement au-delà de l'acquisition des matériels », car son succès ouvrira ou fermera les vannes de la coopération — et donc de la souveraineté – européenne dans le domaine. Pour le ministère des Armées français, les négociations doivent être bouclées début 2020, pour une notification du contrat mi-2020, car la situation est critique. « Il serait difficilement compréhensible qu'en 2028, les armées françaises ne soient pas dotées d'équipements aussi performants que ceux d'ores et déjà disponibles sur le marché », martèle le ministère dans sa réponse, publiée en annexe du rapport de la Cour des comptes.
Enfin, les sages pointent des problèmes qui ne sont pas directement liés aux programmes d'armement, dont « des résistances d'ordre culturel, en particulier au sein de l'armée de l'air, dans la mesure où les drones bousculent les équilibres actuels qui placent le pilote au cœur du dispositif aérien ». Avec les restrictions budgétaires, les heures de vol d'entraînement se font rares, et les missions opérationnelles sont méticuleusement réparties entre les pilotes au sein de l'armée de l'air comme de l'aéronavale : ils craignent logiquement que l'arrivée massive de drones n'empiète sur leurs platebandes.
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