12 février 2018 | International, Aérospatial, Naval, Terrestre, C4ISR, Sécurité

Loi de programmation militaire 2019-2025: les failles du Budget des armées

Par Vincent Lamigeon

La loi de programmation militaire 2019-2025 marque une remontée en puissance inédite depuis 25 ans, avec une priorité à la régénération des hommes et au renouvellement des matériels. Mais une bonne partie de l'effort financier est reportée au-delà du quinquennat. Et des manques persistent.

Près de 300 milliards d'euros en sept ans pour les armées. La loi de programmation militaire 2019-2025 présentée le 8 février marque une remontée en puissance financière inédite depuis la fin de la Guerre froide. Le budget militaire doit ainsi passer de 34,2 milliards d'euros en 2018 à 50 milliards d'euros en 2025, pour atteindre les fameux 2% du PIB promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne. L'augmentation se fera en deux temps : 1,7 milliard d'euros de plus par an jusqu'à 2022, puis 3 milliards par an de 2023 à 2025, avec un ajustement possible des deux dernières annuités en fonction de la situation économique.

Que penser de cette "LPM de renouveau", selon les termes du ministère des armées ? A l'évidence, il s'agit d'un effort majeur. Sur la période 2019-2023, le budget moyen du ministère atteindra 39,6 milliards d'euros, soit 23% de plus que la moyenne 2014-2019. Les effectifs des armées vont repartir à la hausse, avec 6.000 postes en plus, dont 3.000 d'ici à 2023. L'hémorragie qui avait vu la défense perdre 60.000 postes de 2005 à 2015 est donc stoppée, avec une priorité marquée pour le renseignement (+ 1.500 postes et 4,6 milliards d'euros investis d'ici à 2025) et la cyberdéfense (+ 1.000 postes, 1,6 milliard d'euros). Même le général Pierre de Villiers, qui avait démissionné en juillet à la suite d'un désaccord budgétaire avec l'Elysée, a salué sur France 3 "une dynamique réelle", tout en se disant vigilant sur le respect des engagements.

Renouvellement des équipements

La force de cette LPM est d'avoir su trancher sur un point majeur : plutôt que de lancer des grands programmes, type second porte-avions, à forte résonance médiatique mais répondant moins aux besoins opérationnels immédiats, la loi se concentre sur la régénération des hommes et des matériels. Ceux-ci ont été durement éprouvés par des opérations extérieures et intérieures qui dépassent de 30% le niveau prévu par le Livre blanc de 2013. Priorité est donc donnée à la condition de vie des militaires et de leurs familles : 530 millions dans le cadre du "plan familles", et 11 milliards d'euros prévus pour les infrastructures de défense. L'effort est aussi sensible sur les petits équipements, peu médiatisés mais essentiels à la mission des soldats : treillis ignifugés, gilets pare-balles, casques, protection NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique). La maintenance, talon d'Achille des armées fraises est également soignée, avec 22 milliards d'euros consacrés à l'entretien des matériels d'ici à 2023.

L'autre grande priorité de la LPM est le renouvellement d'équipements hors d''ge. Le programme Scorpion de renouvellement des blindés de l'armée de terre voit ainsi ses livraisons accélérées : 50% des véhicules multi-rôles Griffon et des engins de combats Jaguar seront livrés d'ici à 2025. Ceux-ci remplaceront les antiques VAB et autres AMX 10RC, même si plusieurs centaines de ces machines seront toujours en service en 2025. La Marine ? Elle se verra livrer quatre pétroliers ravitailleurs au lieu de trois, et aura droit à trois avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés en plus (18 au lieu de 15). Côté armée de l'air, la commande d'avions ravitailleurs A330 MRTT passe de 12 à 15 exemplaires, dont une douzaine livrée d'ici à 2023. Ces appareils remplaceront les antiques C135FR, livrés en 1965.

La dissuasion choyée

Conformément au souhait d'Emmanuel Macron, le renouvellement de la dissuasion, dans ses deux composantes océanique et aéroportée, est aussi acté, un investissement de 25 milliards d'euros en cinq ans à la clé. Cette accélération permettra de financer le renouvellement du missile ASMP/A embarqué sur Rafale, le lancement du développement des nouveaux sous-marins lanceurs d'engins (SNLE 3G) et du futur missile balistique M51-3. Le coût annuel de la dissuasion va ainsi passer de 3,9 milliards à environ 6 milliards en 2025. La LPM marque enfin un effort important sur le segment spatial : 3 satellites d'observation CSO et un satellite d'écoute électromagnétique CERES seront mis sur orbite d'ici à 2025.

L'effort financier énorme de la LPM a convaincu les industriels. "Ce projet de LPM marque un effort important de la nation pour ses armées", se félicite Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation et président du Cidef (Conseil des industries de défense françaises), rappelant que cet investissement est le garant de l'"autonomie stratégique française", et de la santé d'une filière "compétitive, innovante, exportatrice et créatrice d'emplois stables à forte valeur ajoutée technologique (200.000 emplois environ)".

Essentiel de l'effort après 2022

A bien y regarder, la LPM laisse quand même quelques questions ouvertes. D'abord, une bonne part de l'effort financier est reportée 2023 et 2025, soit hors quinquennat. La hausse annuelle du budget de défense devra alors quasiment doubler, passant de +1,7 milliard par an à +3 milliards. "Cela crée un certain flou : où en sera la situation économique en 2023 ?, s'interroge le député LR François Cornut-Gentille, rapporteur spécial sur le budget défense au sein de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Il aurait fallu une montée en puissance plus progressive, avec une plus grande part focalisée sur le quinquennat actuel." De fait, la LPM ne précise pas le niveau exact des budgets militaires 2024 et 2025, qui devront prendre en compte "la situation macroéconomique à cette date". Cette précision ressemble fort à une porte ouverte à Bercy, qui n'en demandait pas tant.

Autre faiblesse de la LPM : de nombreuses commandes et livraisons d'équipements sont prévues après 2022, voire après 2025, ce qui jette un doute sur leur confirmation. C'est le cas du programme dit HIL (hélicoptères interarmées légers) : ce nouvel appareil, basé sur le H160 d'Airbus Helicopters, devait remplacer trois flottes d'hélicoptères hors d''ge (Fennec, Alouette III...). Les armées devront attendre : le lancement du programme n'est annoncé qu'en 2022, pour de premières livraisons en 2028.

Peu de livraisons de Rafale

La LPM semble avoir aussi fermé la porte à une demande de l'armée de l'air de passer de 185 avions de chasse à 215 appareils. Le projet de loi prévoit un format qui restera à 185 appareils à l'horizon 2030. Cette prudence se retrouve dans les faibles livraisons de Rafale prévues : seulement 28 appareils destinés à l'armée de l'air et à la marine seront livrés en 7 ans, soit seulement 4 par an en moyenne. L'armée de l'air pourra un peu se consoler avec la rénovation de 55 Mirage 2000D.

Une autre grosse déception concerne le financement des études amont. Le montant annuel doit passer de 730 millions à 1 milliard d'euros, mais cette augmentation sera étalée sur cinq ans. Cet effort apparaît trop modeste au vu des enjeux des armées à l'horizon 2030, notamment sur l'intelligence artificielle et la robotisation. Une DARPA à la française (ou à l'européenne), du nom de la cellule d'innovation avancée du Pentagone, ne serait pas de trop pour faire face aux ambitions américaines, russes ou chinoises.

https://www.challenges.fr/entreprise/defense/loi-de-programmation-militaire-2019-2025-les-failles-du-budget-des-armees_566354

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The company is now on the hunt for a local partner in the United Kingdom. “We have several forms of the radio to be compatible with platforms from aircraft to tanks, and the integration is simple as we support standard interfaces," Wermuth said. With older vehicles some re-wiring may be necessary, along with the addition of computers, which is one of the upgrades Rafael supports in India. "When integrating into a new tank, the tank provider has a modern architecture we plug into, and there are some standards in industry in last decade that make it simple with interfaces and protocols,” he added. Rafael's BNET has a broadband IP radio for aircraft (BNET-AR), a man-packable system (BNET-MPS), a vehicle (BNET-V) and hand-held model (BNET-HH). The system enables multiple radios and networks without tactical bottlenecks in communications, Wermuth said. In short: No more jeeps with dozens of antennas, but rather one radio. “You connect each force, whether soldier, vehicle or aircraft or drone,” he says. “If you take a current software defined radio, tactical for instance, you receive 1 megabyte per second; on BNET you can do 100 times more.” Many militaries lag behind the rapid advances in civilian infrastructure for communications, thanks in part to the success of applications like WhatsApp on smartphones, according to Rafael officials. Now they're playing catchup, with Israel in the midst of a major digitization upgrade with its five year Momentum program, which includes BNET and Rafael's Fire Weaver technology for reducing sensor to shooter times. The same technology was chosen when Germany hired Rafael and Atos in December 2019 for a “glass battlefield” demonstration. “Militaries are conservative today and must go through transformative thinking to change how they conduct their mission, as it happens in civilian life,” says Wermuth. Furthermore, providing a new communications system for militaries requires solving three challenges: lack of infrastructure when deployed in the field, the need to operate in severe conditions, and the need to ensure security amid threats of electronic warfare tactics, according to Rafael. Those challenges have been addressed with the Israel Defense Force, which the company hopes will be a selling point for foreign militaries seeking similar upgrades to communication technology. In addition to the German demonstration, Rafael also won a $30 million contract for the Indian Air Force signed with the company's local joint venture Astra Rafael Comsys Pvt Ltd, which could eventually approach $200 million according to the company. The potential is far greater if the program expands to equip the whole Indian Air Force. Rafael works within the framework of India's demand to make products locally, building a local manufacturing footprint by way of joint ventures and local companies. It plans to compete for the Indian army's massive 100,000 radio network when that becomes available. The work with Germany also provides a foot in the door for work with the Tactical Edge Networking plan that envisions Germany and the Netherlands working together on tactical communications. This could combine the Bundeswehr's D-LBO and Dutch Ministry of Defense FOXTROT systems, and is a multi-billion dollar program. A request for proposal (RFP) is expected for next year. “In Europe there is now a rush of digitization programs,” says Wermuth, pointing to Spain where the country is seeking a complete renovation of tactical communications. Tenders for the army and air force are expected in the $1 billion range. Rafael hopes to team with the Spanish firm Technobit, which they have worked with before to supply remote controlled weapons stations to the Spanish army. The company has demonstrated BNET to Spanish officials from the Ministry of Defense . In the U.K., Rafael hopes to play a role with the Morpheus program for next generation tactical communications for the British Armed Forces. In Australia the company is eyeing the Land 200 program, which is also estimated at $1 billion in digitization. https://www.c4isrnet.com/battlefield-tech/2020/06/02/israel-company-targets-opportunities-in-europe-and-asia-for-software-defined-radios/

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